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Claire Silva, la gardienne du temple

Par Sylvie Aghabachian | Le | Fidélisation

Pionnière du télétravail, un goût du dialogue social qui prône la transparence et l’écoute, Claire Silva est membre du comité de direction Groupe d’AG2R LA MONDIALE en charge des ressources humaines et des relations sociales. Retour sur son parcours de près de 17 ans dans le secteur de l’industrie, puis chez McDonald’s France, avant de devenir DRH de l’année 2022.

Claire Silva @Maria Cabrelli - © Maria Cabrelli
Claire Silva @Maria Cabrelli - © Maria Cabrelli

« Attends Claire, tu es bien gentille, mais dans télétravail, il y a d’abord télé ». Nous sommes en février 2018. Voilà déjà six semaines que Claire Silva est membre du comité exécutif d’AG2R LA MONDIALE, en charge des ressources humaines. Elle débarque dans le secteur de l’Assurance, perçue comme un animal curieux et atypique : la DRH a quitté son poste de Senior Vice-présidente en charge des ressources humaines chez McDonald’s France pour rejoindre une entreprise à gouvernance paritaire, après avoir travaillé plus d’une quinzaine d’années dans l’industrie. Il lui faut trois réunions du comité de direction pour convaincre qu’il faut passer à la généralisation du télétravail. En mai de la même année, elle signe un accord, à l’unanimité des organisations syndicales représentatives. Cet accord prévoit jusqu’à deux jours de télétravail par semaine.

Deux ans plus tard, quand le confinement arrive en France, certains reconnaissent qu’elle a été visionnaire. « Lors de la crise sanitaire, nous avons mis seulement trois semaines à stabiliser le fonctionnement du Groupe car nous étions déjà organisés et équipés pour travailler à distance », se souvient Claire Silva qui est aussi en charge des relations sociales du Groupe AG2R LA MONDIALE.

Ses anciens patrons disent d’elle que c’est un roc, qu’elle apporte de la sécurité. Est-ce pour cela que le 14 juillet dernier, un peu avant 8 heures du matin, son téléphone sonne pour lui annoncer qu’elle se trouve dans le Journal Officiel ? Claire Silva, est nommée au grade de chevalier de la Légion d’honneur pour ses 33 ans de services. Elle ne réalise pas tout de suite cette reconnaissance de la Nation pour son parcours et son engagement. Ses parents oui.« Ils ont été très émus toute la journée. Issue d’une famille modeste, sans bagage académique poussé, j’ai été éduquée, tout comme mes deux sœurs, à la valeur travail avec l’idée qu’on n’a rien sans rien, qu’il faut travailler et ne pas se plaindre. Nous avons toutes les trois travaillé pour financer nos études. »

L’aînée se destine à la profession d’Avocat. Claire, la cadette, pour se distinguer, choisit alors la magistrature. Lors d’un job alimentaire chez Bossard Consultants, elle découvre la fonction RH et change alors d’orientation en prenant un virage en droit social à l’Université Paris X Nanterre. La journée, elle l’occupe à des tâches administratives en tant que salariée, les soirs et les week-ends, elle les consacre à la fac. « Je prenais mes congés payés de façon consécutive pour passer les examens de mon DEA en Droit social & Droit syndical dans de bonnes conditions. »

Ses premières missions dans la fonction RH, elle les occupera par hasard dans l’industrie, chez Alstom avant de rejoindre le groupe Thales. En 2003, elle devient responsable des relations sociales et juridique social de Thales Air Defence puis en 2007. Elle prend la responsabilité de la Direction des relations sociales de la Division Air Systems dans une configuration multisites. « J’ai fait le choix d’un parcours plus international et dans un secteur qui devait faire face à un contexte de transformation. L’industrie a été confrontée très vite à des transformations, des ruptures de technologie et des problématiques de compétitivité, qui ont beaucoup impacté les métiers. Le fait social était très important même quand on avait un poste de généraliste RH. Je l’ai expérimenté du plus simple au plus complexe. »

Au début, elle observe ses aînés, elle s’imprègne, rédige de nombreux accords au gré des restructurations, y passe parfois des nuits blanches, car en journée, c’est le temps de la négo. « Il fallait partir d’une page blanche pour écrire un nouveau dispositif conventionnel. » Cette expérience, très tôt dans son parcours, y compris dans des situations exposées et dures, forge un certain nombre de ses convictions. « Être au cœur des transformations, c’est être au cœur de l'émotion exprimée par les collaborateurs y compris par la voix des représentants du personnel qui s’en font l'écho. »  Elle mène des projets de réduction d’effectif, de fermeture de site, de cession d’activité. « J’avais eu l’occasion à différentes reprises de mener des projets complexes. Si bien, qu’en 2012, le groupe m’a sollicité pour me nommer DRH de Thales Services afin de poursuivre un gros projet de cession d’activité qui venait d’être initié par mon prédécesseur dans un contexte social difficile. Un contexte tel qu’il m’a conduit à gérer un conflit social qui a duré près d’une année. » Sa tactique : le parler vrai, la transparence. « Il est important de respecter les gens, les émotions. Les salariés ont besoin d’information, de sens et de compréhension y compris quand on fait des choses difficiles. Il ne faut pas les trahir, ni leur raconter des histoires. »

En 2014, un cabinet de recrutement la chasse pour rejoindre McDonald’s France en qualité de DRH avant d’être promue Senior Vice-présidente en charge des ressources humaines et d’intégrer le Comité exécutif en mars 2016. « Je découvre une autre vision de l’entreprise, moins stéréotypée. L’humain est au cœur du système McDonald’s qui se veut être un véritable ascenseur social grâce à sa capacité à donner sa chance à tous et à favoriser  la diversité. ». Dans les restaurants, comme au siège, elle entend partout : « On a du ketchup dans les veines ». « Les sentiments d’appartenance à l’entreprise et de reconnaissance sont forts. Les collaborateurs peuvent même se sentir redevables à l’entreprise de leur avoir donné leur chance. »

Son expérience en tant que DRH chez McDonald’s lui fait aussi prendre conscience de l’importance de la communication et du marketing RH. Pour elle, la fonction RH gagnerait à être davantage dans la communication, le marketing et la valorisation des actions qu’elle mène. « Dans des contextes de transformation qui s’intensifient et s’accélèrent, la communication est clef, a fortiori dans cet espace-temps où nous sommes à moitié en distanciel et à moitié en présentiel. Ayant accompagné beaucoup de projets de transformations complexes, je disais toujours qu’on devait aussi accompagner le management. Je préparais de façon simultanée trois types de communication et de supports : ceux de la tenue de la négociation avec les Instances Représentatives du Personnel (IRP), les supports de communication pour le management afin de leur partager les éléments de langage et une communication générale à destination des collaborateurs. Nous ajustions la communication après la réunion de négociation et la diffusion le soir même ou le lendemain matin. Il est important de partager de l’information de façon régulière, de faire preuve de compréhension et de répondre aux questions pour rester à l’écoute et maintenir la confiance dans le dialogue. »

C’est donc naturellement qu’elle est séduite par la gouvernance paritaire du groupe AG2R LA MONDIALE. « Je crois profondément à la vertu du dialogue social. La médiation sera probablement amenée à se développer fortement dans les années à venir. La question de la confrontation est créatrice de valeur. En se disant les choses de façon claire, on sait à quoi s’en tenir de part et d’autre et on peut rechercher des points de consensus et des solutions. Les plus belles négociations que j’ai menées et dont j’ai été fière sont celles au terme desquelles  nous avons eu la capacité à faire preuve de flexibilité et d’ouverture après avoir écouté les représentants du personnel. On doit avoir cette objectivité, cette humilité dans la façon d’apprécier les situations et accepter d’adapter notre position par rapport à celle qu’on avait initialement. »

« La fonction RH est la gardienne du temple pour tout le monde : les collaborateurs et les IRP. Il est de notre responsabilité de prendre notre bâton de pèlerin pour aller chercher les marges de manœuvre de part et d’autre. C’est également à nous d’être sur le terrain dans des contextes sociaux chahutés, contenir les sujets de mécontentement et l’expression de l’émotion. Pour cela, pouvoir compter sur la confiance des dirigeants et de mon équipe est clé. » Pur produit de la méritocratie, le 23 juin 2022, lorsque Cadremploi, Le Figaro Emploi, Morgan Phillips et Fyte lui remettent le Trophée du DRH de l’année, elle remercie avant tout ses équipes et repense à son parcours et à ses projets difficiles. « Prendre du plaisir dans la fonction qu’on exerce  permet de surmonter les difficultés voire les épreuves. J’ai aussi eu la chance d’être entourée de superbes équipes. »

Ses prochains défis seront de renforcer l’engagement, de créer les conditions de l’expression collective au plus près du terrain.« Nous allons devoir trouver le bon niveau d’équilibre entre une réponse individuelle à certaines demandes tout en créant les conditions pour maintenir un collectif de travail. » Mieux intégrer via le Onboarding et mieux accompagner le cycle de vie d’un collaborateur au sein de l’entreprise afin de le fidéliser seront aussi des enjeux à venir, avec l’anticipation de l’évolution des métiers. « Nous avons la responsabilité d’anticiper les évolutions des métiers pour éviter de mettre le collectif en situation de non-employabilité. La question de l’organisation du travail sera amenée à évoluer, nous devons nous saisir du sujet. Dans la 15e édition du Baromètre de l’Absentéisme de l’Engagement d’AG2R LA MONDIALE  et Ayming publiée le 12 septembre dernier, un sujet n’a pas été abordé : l’intensification du travail ces dernières années, tous secteurs et niveau de responsabilités confondus. Il ne faut pas exclure qu’il existe un lien et qu’une partie de l’augmentation de l’absentéisme (NDLR : 47 % des salariés absents au moins une fois en 2022, +10 pts vs 2021) découle de ça. » Quant à la semaine des 4 jours dont tous les DRH parlent, elle se veut prudente.  « Je ne suis pas contre les expérimentations. C’est un sujet qui questionne en particulier la fonction RH et implique une réflexion plus globale d’organisation du travail notamment pour éviter les situations de tracance (NDLR : néologisme, contraction de vacances et travail). En week-end ou en vacances, il faut faire en sorte de ne pas travailler et de se déconnecter. À défaut, la semaine de 4 jours pourrait ne pas en être véritablement une » dit celle qui reconnaît avoir été une Stakhanoviste à ses débuts professionnels.