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Salaires : « Des augmentations intenables si la productivité reste en berne » (Indeed)

Par Alban Garel | Le | Salaires

Les thématiques liées à l’inflation, au pouvoir d’achat des Français et à l’augmentation des salaires ont été traitées abondamment par les médias en 2023, mais l’importance du paramètre de la productivité du pays pour augmenter les salaires est moins souvent abordée.

Le Hiring Lab, département de recherche économique de la plateforme de recrutement Indeed, revient sur la chute de la productivité en France ces dernières années et son impact lourd sur l’économie.

Salaires : « Des augmentations intenables si la productivité reste en berne » (Indeed)
Salaires : « Des augmentations intenables si la productivité reste en berne » (Indeed)

La France est loin d’avoir récupéré son niveau de productivité d’avant la pandémie de Covid

Evolution de la productivité depuis 2010 - © Indeed
Evolution de la productivité depuis 2010 - © Indeed

  • Par rapport à l’avant-crise, l’emploi salarié privé a augmenté de 6,0 % (1,2 million de personnes), mais la production de 1,7 % seulement. Cela entraîne mécaniquement une chute de la productivité, et le graphique ci-dessous permet de voir que si de nombreux pays ont vu leur productivité chuter au moment du ralentissement économique brutal créé par la pandémie et les confinements, la France peine nettement plus que d’autres pays à retrouver le chemin de sa courbe « traditionnelle » de productivité.

  • De nombreux facteurs entrent en jeu pour aboutir à cette chute de productivité : les créations d’emplois ont certes été plus dynamiques que la croissance du produit intérieur brut (PIB), mais on peut aussi mentionner l’évolution de la typologie de la population active, avec comme exemple le plus criant l’essor rapide de l’apprentissage, où les salariés concernés sont souvent à temps partiel et moins productifs puisqu’en cours d’apprentissage. A ce sujet, l’évolution annoncée de la population active vers un pourcentage toujours plus élevé de salariés seniors (vieillissement de la population, allongement de la durée de travail, etc.) - des profils réputés un peu moins productifs - va rester un challenge pour la productivité française pendant de nombreuses années.

  • Un autre constat s’impose : les créations de postes depuis l'épidémie de Covid ont principalement eu lieu dans des secteurs moins productifs et ont bénéficié à des profils moins qualifiés ; on peut notamment citer les secteurs de l’hôtellerie-restauration ou des services d’aide à la personne, où l’emploi a connu une augmentation impressionnante à l’issue de la pandémie. La désindustrialisation de la France, tout comme le manque d’investissement dans les sciences ou le numérique - autant de domaines à forte productivité - posent aussi problème comparativement avec d’autres pays développés qui offrent plus d’emplois productifs et à forte qualification.

  • La hausse significative des arrêts maladie pèse aussi dans ce calcul, et l’impact de l’évolution des modes de travail (vers beaucoup plus de travail à distance) sur la productivité fait encore débat parmi les économistes. Il faudra également veiller, dans les années à venir, à maintenir des niveaux de bien-être au travail et de motivation importants parmi les salariés - un sujet pas si évident pour les entreprises, notamment en raison de l’émergence de nouvelles attentes en matière de travail chez les salariés depuis la pandémie - car ces facteurs ont beaucoup d’influence sur la productivité des travailleurs.

Des augmentations de salaires intenables si la productivité reste en berne

« Si la baisse de productivité du pays est un sujet aussi important dans le contexte actuel marqué par l’inflation et la crise du logement, c’est qu’elle réduit encore la possibilité pour les entreprises qui ont des marges faibles d’augmenter les salaires » explique Alexandre Judes, économiste au sein du Hiring Lab d’Indeed.

  • Pourtant, certains compartiments du marché du travail restant tendus, les entreprises ont besoin d’augmenter les salaires pour pouvoir recruter. La pandémie a non seulement créé des pénuries de main-d’œuvre, mais en a également renforcé dans certains secteurs, en particulier pour les emplois exigeants sur le plan physique ou social (impliquant du travail en extérieur, ou en horaires décalés), qui restent difficiles à pourvoir et font donc l’objet d’augmentations de salaires supérieures à la moyenne. Certaines entreprises faisant face à des pénuries de main-d’œuvre pourraient ainsi substituer du capital au travail, et donc augmenter leur taux d’investissement.

  • Alliée à la faiblesse du taux d’emploi français (68,3 % contre 77,5 % en Allemagne), une productivité faible se traduira par une croissance potentielle diminuée, avec un effet négatif important sur les finances publiques. La productivité est également corrélée à l’attractivité économique du pays.

Quels leviers mobiliser pour augmenter la productivité ?

  • L’impact de l’apprentissage (qui représente plus du tiers de la création d’emploi depuis fin 2019), plutôt négatif sur la productivité pour l’instant, pourrait être positif à plus long terme, lorsque les anciens apprentis mettront en application le savoir-faire de leurs années de formation. L’intelligence artificielle est également un puissant levier. Malheureusement, les employeurs français semblent pour l’instant moins enclins que leurs homologues étrangers à recruter des actifs compétents dans le domaine. À court terme, le rétablissement de la productivité pourrait donc se traduire par moins de recrutements, en particulier sur des postes perçus comme peu qualifiés.

  • D’autres pistes existent, liées notamment à une meilleure organisation du travail. Beaucoup d’entreprises ont pu être déstabilisées par l’irruption du télétravail. Trouver un équilibre entre le temps passé en réunion et le temps de production nécessite d’adopter de nouvelles habitudes de management, et parfois de nouveaux outils pour pouvoir bénéficier des gains de productivité permis par le télétravail. Plus généralement, l’amélioration de la qualité du management permet aussi d’augmenter le bien-être au travail, qui se traduit par une plus grande productivité des salariés.

  • En 2024, les entreprises vont concentrer leurs efforts sur la défense de leurs marges et la restauration de leur productivité. De leur côté, les candidats vont logiquement rester très attentifs à leur pouvoir d’achat. La France devra accorder une attention réelle aux questions de mobilité (télétravail, logement), de formation (avenir de l’apprentissage, seniors), de numérisation (comment intégrer la donnée et l’intelligence artificielle au cœur des organisations ?) et aux enjeux sociaux et humains (comment répondre à la quête de reconnaissance des salariés et redonner des perspectives aux actifs « bloqués » dans des métiers ou des carrières peu valorisées socialement ?).