Pouvoir d’achat : « Les salaires ont crû moins fortement que l’inflation depuis 2019 » (Rexecode)
Par Alban Garel | Le | Salaires
Malgré une accélération en 2022, les salaires du secteur privé ont crû moins fortement que l’inflation depuis 2019 en France. Pourtant, cette perte de pouvoir d’achat du salaire ne s’est pas accompagnée d’une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés d’après une étude publiée récemment par l’Institut d’études économiques Rexecode.
La principale explication à ce paradoxe se trouve dans la baisse de la productivité moyenne du travail de près de 5 % depuis 2019. Cette dernière résulte pour une grande part de la dynamique des créations d’emploi dans des secteurs plus intensifs en main-d’œuvre et pour des profils de travailleurs relativement moins qualifiés, tels que les apprentis.
Les salaires mensuels de base accélèrent progressivement dans le sillage de l’inflation
- Le SMB (salaire mensuel de base) correspond au salaire brut qui figure habituellement en première ligne de la fiche de paie, avant les primes et les autres compléments de rémunération. Il dépend généralement des grilles salariales négociées au niveau de la branche ou de l’entreprise.
- Les négociations salariales au sein des branches et des entreprises ont conduit à une accélération progressive du SMB en 2022. Les négociations qui se sont tenues entre fin 2022 et début 2023 confortent cette dynamique pour 2023, avec des hausses négociées proches de 5 % en moyenne.
- Le SMB connaît néanmoins une progression moins forte que l’IPC (indice des prix à la consommation) par rapport aux niveaux moyens de 2019. La perte moyenne de pouvoir d’achat qui en découle atteint 1,5 point au deuxième trimestre 2023 pour l’ensemble des salariés des secteurs non agricoles.
- La comparaison algébrique entre l’évolution des salaires mensuels de base et l’inflation ne suffit pas à établir l’existence d’un éventuel déséquilibre dans la fixation des salaires :
- D’une part, la dynamique des salaires met en jeu, à côté de l’inflation, d’autres déterminants tels que la productivité du travail ou la situation du marché du travail, qui peuvent conduire à des gains ou des pertes de pouvoir d’achat des salaires, plus ou moins durables.
- D’autre part, le salaire mensuel de base ne représente, par définition, qu’environ 80 % de la rémunération salariale, alors que c’est la mesure globale de cette dernière qui doit être mise en regard de ses déterminants. Il n’intègre pas, par exemple, les primes de partage de la valeur versées par les entreprises (qui se sont élevées à près de 6,5 Md€ en cumulé de mi-2022 à mi-2023), ni les autres compléments de rémunération sous forme de primes, heures complémentaires ou supplémentaires.
La perte de pouvoir d’achat des salaires moyens par tête ne procède pas d’une déformation du partage de la valeur défavorable aux salariés
- Le SMPT sur l’ensemble des branches marchandes non agricoles a connu une perte de pouvoir d’achat depuis 2019. Celle-ci atteint 2,5 points entre la situation moyenne de 2019 et le deuxième trimestre2023. Elle touche tous les secteurs marchands, à l’exception des services financiers, mais son ampleur diffère d’un secteur à l’autre.
- La décomposition comptable de la perte de pouvoir d’achat des salaires moyens par tête, pour l’ensemble des branches marchandes non agricoles, montre qu’elle procède d’abord d’une perte de productivité horaire du travail, de l’ordre de 4,9 points. La part des salaires dans la valeur ajoutée contribue positivement à leur évolution globale (+0,3 %), et de manière plus prononcée dans plusieurs secteurs.
- Sur le champ des branches marchandes non agricoles, l’analyse comptable de l’évolution des salaires réels ne fait donc pas apparaître de déséquilibre global qui s’effectuerait au détriment de la part des salaires, à l’exception de certains secteurs.
La baisse de la productivité du travail résulte pour partie de l’évolution de la structure des emplois entre secteurs et au sein des secteurs
- La perte de productivité qui découle de l’enrichissement de la croissance en emploi d’une part, et des dynamiques d’embauche différenciées entre secteurs d’autre part, pourrait expliquer 80 % de la perte de productivité et, par conséquent, de la perte de pouvoir d’achat du salaire moyen par tête qu’elle emporte.
- Un tiers des 1,2 million d’emplois salariés créés depuis 2019 l’ont été dans l’apprentissage, ce qui permettrait d’expliquer environ 2 points de perte de productivité. Les deux-tiers restants l’ont été majoritairement dans des secteurs à plus faible niveau productivité que la moyenne de l’économie : cet effet de composition entre secteurs pourrait expliquer 1 point de la perte globale de productivité.
- En outre, une partie des créations d’emploi coïncident avec la nette baisse du taux de chômage et la hausse du taux d’emploi depuis 2019. Or les profils d’emploi concernés correspondent généralement à des niveaux de productivité du travail plus faibles du fait d’un moindre niveau de qualification, d’expérience ou des effets d’un éloignement prolongé du marché du travail. Sous l’hypothèse que 50 % des emplois créés hors apprentis se situent à 50 % de la productivité moyenne des secteurs d’embauche, cet effet expliquerait un point supplémentaire de perte de productivité.