« La DRH aux 1000 idées à la minute » (Majda Vincent, Sodexo)

 « Il faut que je fasse attention car, j’ai 1000 idées à la minute ». Majda Vincent, 19 ans de carrière chez Ikéa, DRH de Sodexo depuis janvier 2021, plante le décor. Comme une élève studieuse, celle qui a quitté sa ville de Dijon à 18 ans « pour réussir dans la capitale », a soigneusement préparé son interview-portrait.  « J’ai demandé à mes équipes ce qu’elles pensent de moi, elles me voient comme une DRH de conviction. » Lydie Breton, la directrice Innovation Sociale et projets RH de Sodexo l’a baptisée « MGV, la Majda à grande vitesse : en très peu de temps, elle a accompli énormément de choses. Le problème, c’est que ses idées sont bonnes, on ne peut les retoquer. Cela nous apprend à mieux poser le sujet de la connaissance de soi, ce que l’on se sent en capacité de faire et ne pas faire.  Pour atteindre un fonctionnement d’entreprise vertueuse, il faut s’accorder sur les priorités. »

Sens commun du business

Impatiente, exigeante sur la performance et la qualité, son cheval de bataille est d’aider l’ensemble des équipes à grandir et à développer leurs compétences. « En 2023, en France, 7 % de la population est en situation d’illettrisme. Il est temps d’agir sur le long terme. Lutter contre l’illettrisme c’est garantir l’employabilité à long terme pour tous. », a-t-elle écrit dans une tribune publiée sur LinkedIn en octobre dernier, quelques jours avant la venue sur l’un des sites de Sodexo à Saint-Denis de Carole Grandjean, la ministre déléguée à l’Enseignement et à la Formation professionnels. « Elle a le courage de porter des sujets compliqués, d’aller au feu, au combat. Elle a fait gagner en efficacité la fonction RH car il y a cette combinaison d’humanité et de goût de l’autre et en même temps cette envie de faire bouger les choses pour les améliorer », raconte Lydie Breton. « La justice sociale, l’équité, l’égalité des chances m’animent beaucoup. Dès que nous avons un projet, je m’interroge sur l’impact d’amélioration pour les salariés. J’ai aussi un bon sens commun du business », reconnaît la DRH. Sa directrice de la Communication institutionnelle la voit comme une DRH qui a beaucoup de courage, de cœur et d’écoute. « Elle fait son job avec ses tripes ».

Transformations sur les métiers de la relation client

Un job qui n’est pourtant pas une vocation sans être une coïncidence. Après des études d’économie et d’économétrie, elle découvre la fonction RH lors d’un stage chez Ikea sur les coûts cachés du turn-over.  L’enseigne l’embauchera comme responsable RH à l’issue d’un Master Management Ressources humaines et RSE à l’Université Panthéon Sorbonne (Paris I). Mais pour elle, « il n’y a pas de hasard : très jeune, je posais beaucoup de questions à mon père. Nous parlions de relations au travail, de management, de ce qu’il vivait. La justice, le droit et la qualité de vie m’animaient lors de nos sujets de discussion. Et aujourd’hui, Ce qui m’anime c’est de faire en sorte que chaque salarié, quel que soit son niveau ait une qualité de vie au travail. Avec du recul, je me dis que je n’ai pas rejoint Sodexo par hasard. Le groupe a la volonté d’améliorer la qualité systématiquement et de progresser sur ces sujets. L’entreprise fournit des repas dans les écoles, les hôpitaux, les prisons, apporte du confort auprès des gens dans l’événementiel. Je parle même du pouvoir de la nourriture, qui apporte du bien-être et du plaisir autour de l’assiette qu’il faut verdir. Nous avons d’ailleurs démarré des formations sur le fait de varier les assiettes, les menus. L’inclusion me tient à cœur et elle passe par l’assiette. Il faut pouvoir trouver son compte que l’on soit végétarien, végan, végétalien, mangeur de viande ou de poisson. »

Chez Ikea en tant que RRH, elle mène des transformations sur les métiers de la relation client. Du coup, l’enseigne suédoise lui taille un poste sur-mesure. « Ils ont créé le poste de directrice d’e-Commerce et de call center. J’ai eu une aire de jeu incroyable. J’ai créé un bâtiment dédié aux métiers  de la relation client à distance et j’ai sorti les métiers des magasins. Ikea est devenu un centre d’excellence de la relation client. Nous sommes passés de la relation physique du SAV à la relation distancielle. »

DRH, citoyenne et mère

Quand elle ne travaille, Majda Vincent revendique vouloir être une « super maman ». Elle embarque ses filles dans ses engagements comme le mentoring pour « leur faire prendre conscience du monde dans lequel elles vivent. Je ne suis pas qu’une DRH et quand j’occupe un poste je suis à la fois citoyenne et mère.  Mes filles font aussi la femme professionnelle que je suis :  je pense à l’impact sur l’éducation et la formation, sur le sens au travail à donner. »

En 2013, sa benjamine a deux mois, elle saisit l’opportunité d’un retour aux sources en étant promue directrice de magasin à Dijon. « Pour Ikea, c’était un step avant de prendre le poste de DRH. Pour moi, c’était le meilleur poste car je gérais le compte d’exploitation, les clients, les RH, les entrepreneurs, les institutions locales… Une vraie patronne. Je ne connaissais pas le métier. J’ai appris les métiers de la logistique, la restauration et de la vente.  La seule chose que je maîtrisais, c’étaient les RH. Je suis sortie de ma zone de confort. J’ai appris à faire confiance et à apprendre des autres, sans être dans le contrôle. » En juin 2015, elle est nommée DRH d’Ikea France. « Je connaissais le métier, le langage et les conditions de travail de mes collègues opérationnels. » Elle restera quatre ans à la tête des RH. « Avant de rejoindre ISS, une entreprise danoise pour y créer la fonction RH, je me suis retrouvée la seule française dans le Comex d’Ikea. Un sacré learning pour moi sur la dimension culturelle », se souvient-elle.

L’aventure chez Sodexo commence en 2021, en pleine crise sanitaire. Elle arrive à l’entretien à 15 heures pour en repartir à 20h. Anna Notarianni, présidente de la région France, m’a choisie pour aussi mener le programme ‘leadership empathique et collectif’. Elle m’a dit : « si tu viens, c’est pour la transformation managériale, on redonne du pouvoir aux managers en les équipant émotionnellement. » Depuis novembre 2022, Majda Vincent a aussi en charge les RH de l’Europe. « Nous avons déployé ce programme leadership au management Comex France et aux N-1 en intégrant les méta-compétences. On le fait désormais sur les premiers niveaux de management, les gérants. 1200 personnes ont suivi le programme chaque année depuis 2022, soit au total 3600 personnes d’ici fin 2024. Nous avons pris plus 11 points sur l’enquête engagement et l’absentéisme est en baisse. Des dirigeants qui inspirent et sont aussi dans cette dynamique. »

Lutter contre l’illettrisme

Elle s’est attelée aussi à la GEPP en ajoutant un chapitre important à ses yeux : la lutte contre l’illettrisme. Avec le développement de l’IA et de la digitalisation et le changement du monde du travail, l’apprentissage est au cœur de sa stratégie RH. Nous avons des personnes plus fragiles en compétences de base qu’on ne peut pas laisser au bord de la route. Il faut équiper les salariés à savoir lire et écrire car demain, il faudra peut-être scanner ou faire enregistrer des données dans un système. Et puis, je refuse qu’une personne soit condamnée à faire le même job toute sa vie car elle ne sait pas lire ou écrire. Carole Grandjean a rencontré des personnes qui ne souhaitent pas s’arrêter en si bon chemin comme l’un de nos plongeurs devenu magasinier. Son objectif est de passer second de cuisine. Il progresse aussi personnellement : il peut participer à une réunion dans la classe de son enfant et comprendre l’enseignante. »

« Ma mission en tant que DRH est de préparer l’avenir pour les personnes qui font partie de l’entreprise, les aider à évoluer en tant qu’individu, les faire grandir au quotidien, c’est mon parti pris. Nous avons mis en place le programme « Cuisinons ensemble, en certifiant des personnes en interne. Nous parrainons avec un chef, des salariés qui apprennent un métier qu’ils pratiquaient de manière informelle chez eux ou dans une expérience passée ou ont même la capacité de le faire, l’envie et, nous leur apportons l’aspect technique. On leur donne une certification interne et ils signent un avenant au contrat de travail. »

Ouvrir les champs possibles, cultiver cet esprit de progrès, permettre d’améliorer individuellement et collectivement sont les ambitions de Majda Vincent. L’une de ses trois filles, dit que son rôle est de « recharger les salariés ». « J’ai à cœur de faire évoluer les personnes et découvrir des pépites. J’adore par exemple, exposer les personnes de mon équipe en session de Comex quand j’estime qu’elles peuvent mieux parler d’un sujet que moi. Je ne connais pas bien le foot, mais je pense que je suis une bonne sélectionneuse. On dit aussi de moi que j’ai le nez sur la détection de potentiels. » La prochaine étape sera de trouver 6.000 personnes pour les Jeux Olympiques & Paralympiques 2024 afin de « nourrir » les 15.000 athlètes.