Stratégie

DRH : pourquoi tant de haine ?

Par Sylvie Aghabachian | Le | Métier rh

Le procès de Gabriel Fortin devant la cour d’assises de la Drôme, surnommé le « Tueur de DRH » a ravivé la question du déficit d’image de la fonction. Considérée comme essentielle lors de la crise sanitaire, elle fait face à un RH Bashing depuis de nombreuses années auprès de l’opinion publique.

DRH : pourquoi tant de haine ?
DRH : pourquoi tant de haine ?

D’ici quelques jours, Gabriel Fortin, dit le « tueur de DRH », sera fixé sur son sort. Le verdict initialement prévu le 30 juin, sera annoncé plus tôt cette semaine. Il lui est reproché d’avoir tué le 26 janvier 2021 en fin de journée, Estelle Luce, DRH de 39 ans à Wolfgantzen (Haut-Rhin). Puis, le même soir, à Wattwiller (Haut-Rhin), d’avoir tenté d'éliminer à son domicile, Bertrand Meichel, un autre DRH. Il est aussi accusé d’avoir tué Patricia Pasquion, conseillère de 53 ans à Pôle emploi à Valence et Géraldine Caclin, DRH de 51 ans dans l’entreprise Faun environnement, à Guilherand-Granges (Ardèche).

Pourquoi tant de haine envers les DRH ? « C’est un acte isolé, une folie humaine d’une personne. Je ne l’associe pas à une attaque envers la profession », répond Sandrine Chourrout, DRH du groupe Majorian, une plateforme de services aux indépendants de l’hospitalité et de la restauration. Dans cette tragédie, il est aussi question de deux licenciements de l’accusé, vécus comme des « injustices ». « Tout DRH licencie des gens », ajoute Sandrine Chourrout, « les DRH ne sont que les porte-parole d’une entreprise ou de décisions économiques. »

Rôle essentiel pendant la Covid

Considéré comme l’un des maillons essentiels de l’entreprise, notamment depuis la crise sanitaire, le DRH fait le pont entre la gouvernance et les salariés. Un rôle d’équilibriste entre la performance sociale et économique de l’entreprise. « Les salariés nous assimilent à un gestionnaire de PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) ou à des licenciements et la direction à des empêcheurs de tourner en rond car, nous sommes garants de l’application de dispositifs législatifs ou de contraintes réglementaires », précise l’ancienne DRH de Ducasse Paris avant de rejoindre Majorian, il y a un an. « Lors de la Covid, les gens ont revu les RH. Faut-il une crise de cette ampleur pour redescendre dans les ateliers ? Une fois la crise passée continuent-ils de les voir ? » s’interroge de son côté François Geuze, auditeur social et rédacteur en chef adjoint du Mag RH. Pour cet ancien DRH, un fossé se creuse. « La fonction a un peu perdu le contact avec les collaborateurs. Il y a eu cette mode « Tous DRH » :  les tâches de management des ressources humaines sont de plus en plus partagées avec les managers qui sont devenus DRH de première ligne. Les DRH vous les voyez désormais que lors du recrutement et quand il y a un problème. Entre temps, leur rôle s’est effacé derrière les managers et les outils technologiques. Nombreux sont les collaborateurs qui se demandent : « A quoi servent-ils ? Ils ne sont là que pour être la voix du patron et nous taper dessus. »

Avant l’ouverture du procès de Gabriel Fortin devant la cour d’assises de la Drôme, le 12 juin dernier, on entendait pourtant Benoit Serre, le vice-président de l’association nationale des DRH, rappeler sur France Inter que le métier de DRH, « ce n’est pas seulement recruter et virer des salariés ». « C’est un métier magnifique, il a toute sa place dans l’entreprise. Même quand il y a des décisions difficiles à prendre, c’est dans un souci de sauvegarde collective, tempère aussi Sandrine Chourrout. Si le DRH parvient à créer du liant, on peut individuellement changer l’image du métier. »

Création du lien et du maintien social

Le RH Bashing ne date pas d’hier. Dans le cinéma ou bien la chanson, il est associé à une image négative. En 2014, l’artiste Anaïs chantait :« D comme déconnecté, R comme brasser de l’air, H comme hache de guerre, DRH, D comme jeter des dés, R comme jeter à terre, H comme payer moins cher ». En octobre 2015, deux cadres d’Air France, dont le DRH, chemise arrachée, escaladaient des clôtures pour échapper à des syndicalistes. En 2018, Didier Bille, ex-DRH, publiait « La Machine à Broyer » (Ed. Le Cherche Midi). Il espérait alors pour une remise en question de la fonction. « Si elle ne le fait pas, elle sera vouée à disparaître. Je plaide pour qu’elle reprenne en main la création du lien et du maintien social. » Ces souvenirs-là de la fonction RH, Sandrine Chourrout en fait abstraction : « J’aime mon métier et les gens. Je ne m’assimile jamais aux images négatives. C’est une forme d’autoprotection peut-être qui coïncide avec mon tempérament. » Pour elle, le RH bashing n’est pas dû à l’action des DRH mais au contexte global social et économique.

Redécouvrir une fonction RH de proximité

L’année 2023 surfe sur le côté « glamour de la profession car socialement et économiquement nous approchons le plein emploi, il y a moins de PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) et nous sommes dans une démarche d’accompagner les entreprises à attirer et fidéliser les talents, à développer la marque employeur…Mais si demain, nous retombons dans une période de crise avec à nouveau des licenciements, nous tiendrons le rôle des méchants, et notre image sera ternie ». A court terme, pour François Geuze, la solution serait de redécouvrir une fonction RH de proximité, reprendre place dans un ensemble de processus RH  de manière plus importante : la formation, la gestion des carrières, …Regardez tous les messages des candidats sur les réseaux sociaux concernant les absences de réponses, les critères peu clairs. Aujourd’hui, ils se disent : si on me recrute, c’est grâce à moi pas aux RH. »