Stratégie

Le rapport au travail exploré dans le cadre du « Projet Sens » parrainé par J.D. Senard et N. Notat

Par Fabien Claire | Le | Management

« Nous remettions, avec Nicole Notat, il y a cinq ans, le rapport “l’entreprise, objet d’intérêt collectif” à quatre ministres, leur proposant de doter les entreprises d’une raison d’être, de créer une qualité de société à mission et de modifier le Code civil afin qu’une société ne soit pas seulement constituée dans l’intérêt des associés mais également gérée en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » déclare Jean-Dominique Senard, président du Groupe Renault et président de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi le 22/06/2023, à l’occasion de la publication du rapport « Du sens à l’ouvrage : comprendre les nouvelles aspirations dans le travail ».

«  Aujourd’hui, il existe plus de 1 000 sociétés à mission, dont les trois quarts ont été créées depuis 2010. Et encore plus de sociétés s’étant dotées d’une raison d’être dans leurs statuts. »

Jean-Dominique Sénard et Nicole Notat - © DR.
Jean-Dominique Sénard et Nicole Notat - © DR.

Du sens à l’ouvrage : comprendre les nouvelles aspirations dans le travail

« Les salariés avec lesquels nous avons échangé depuis la sortie du rapport, accueillaient positivement ces évolutions. Ils n’en voyaient toutefois pas les effets dans le sens de leur travail, reflétant par leurs témoignages, les chiffres préoccupants de la dégradation du rapport au travail. Ces témoignages nous ont incités à parrainer ce Projet Sens, qui propose des pratiques susceptibles d’être mises en œuvre par les entreprises. »

« Nous souhaitons donc saluer la rigueur et la créativité de Jean-Baptiste Barfety, l’auteur du rapport et du collectif unique de DRH du Projet Sens pour ce texte qui apporte des clarifications utiles et des principes applicables concrètement dans les équipes, au plus près de la réalité du travail des Français. »

« Enfin, ce Projet Sens complète à travers l’engagement d’un collectif unique de DRH d’entreprises, la réflexion récemment menée dans le cadre des Assises du Travail. Le rapport Re-considérer le travail, qui formule des recommandations pour renouveler le dialogue social et pour changer les pratiques managériales pour accorder davantage d’autonomie et de responsabilité aux travailleurs. »

Les conclusions du rapport

L'évolution de la quête du sens au travail

  • Alors que les institutions telles que l'Église, le Parti et le Syndicat ont perdu de leur influence, les individus cherchent désormais du sens à une échelle plus personnelle. Cette recherche tâtonnante du sens des actions entreprises reflète une absence de références collectives et de grandes utopies. Les individus se trouvent ainsi dans une quête incessante de sens pour leurs actions ;
  • Malgré les règles et les processus qui encadrent les actions des salariés, ces derniers s’investissent pour rendre le service ou produire, parfois en contournant les règles existantes. Cependant, le désengagement peut également se manifester, entraînant une dissociation du moi personnel et du rôle professionnel, ce qui conduit à un comportement robotique et bureaucratique ;
  • La démission, visible ou silencieuse, est une réponse individuelle au mal-être au travail. Cette démission silencieuse se caractérise par un ralentissement des cadences et une réaction au déséquilibre entre les efforts fournis et la reconnaissance insuffisante ;
  • Les chiffres montrent que 43 % des actifs envisagent de quitter leur emploi pour un autre qui leur offre plus de sens, ce qui souligne l’importance de prendre en compte cette dimension pour les entreprises désireuses de retenir leurs talents. L’impact du sens au travail sur la fidélisation des salariés est crucial.

Qu’est-ce que le sens au travail ?

  • Le sens du travail peut etre défini comme l’alignement entre ce qui se passe dans l’entreprise et ce qui est vécu et attendu parle salarié. Il englobe plusieurs dimensions, notamment la signification des missions, la direction collective de l’entreprise et la transmission dans le travail ;
  • Le rapport met en évidence deux catégories :
    • L’effet Graeber, du nom de l’anthropologue David Graeber, se réfère à la frustration ressentie lorsque le travail n'établit pas de lien significatif avec le contenu, la finalité ou les relations professionnelles ;
    • L’effet Greta, du nom de la jeune Suédoise connue pour sa grève scolaire pour le climat, concerne la prise de conscience croissante de l’engagement écologique et la culpabilité ressentie par ceux qui ne peuvent pas contribuer à cette cause dans leur emploi actuel.
  • Le sens du travail est également influencé par les interactions sociales et la reconnaissance des autres. Les actes de soutien émotionnel, de confiance et d’inclusion contribuent à donner du sens au travail. Cependant, ces interprétations peuvent varier en fonction du contexte et des perceptions individuelles.

La finalité du travail

  • La raison d'être est conçue pour guider les décisions importantes et servir de contrepoint au critère financier à court terme. Il est important de souligner que les critiques ne se concentrent pas sur la déclaration d’une raison d'être, mais plutôt sur le manque de cohérence entre les paroles et les actes des entreprises ;
  • L’exemplarité institutionnelle joue un rôle crucial dans le sens au travail. La cohérence entre les discours et les pratiques marque les esprits et permet de dépasser le paradoxe d’un sens ressenti individuellement mais ancré dans le collectif. L’exemplarité se manifeste dans les relations humaines, le management et les stratégies d’entreprise.

Le sens intrinsèque du travail

  • Ce chapitre du rapport souligne l’importance des missions variées et claires pour les salariés. Les missions qui combinent des compétences routinières mais aussi des compétences nouvelles permettent aux individus de se sentir compétents et d'éprouver un sentiment de satisfaction. Cependant, la tendance actuelle est à la dégradation de la variété des missions, ce qui peut entraîner une perte de sens pour les travailleurs ;
  • Il est essentiel que les salariés puissent contempler le fruit de leur travail afin de s’y reconnaître et d'établir un lien entre leur travail et son objectif, même minime. Une expérience avec des étudiants montre que la perception concrète du fruit du travail augmente la productivité et l’engagement. De plus, le contact humain avec les bénéficiaires ou les clients peut également renforcer le sens au travail ;
  • Cependant, les processus de gestion de plus en plus lourds et bureaucratiques peuvent entraîner une perte de sens. Les salariés expriment leur frustration face à la paperasserie et à la déconnexion entre les processus et la réalisation du travail. Cette bureaucratisation nuit à la relation entre la personne et son travail, ainsi qu'à l’intérêt collectif de l’entreprise.

Le management et le gouvernement d’entreprise

  • Ce dernier chapitre du rapport explore l’impact du management et du gouvernement d’entreprise sur le sens au travail. Il met en évidence la démission fréquente des cadres jeunes en raison du décalage entre la description du poste et sa réalité, ce qui souligne la nécessité d’une remise en question profonde ;
  • La baisse du chômage permet aux salariés d'être plus exigeants envers la réalité de leur travail et la qualité du management. Les philosophes montrent que la reconnaissance dans le travail est essentielle pour combler un besoin existentiel et se sentir valorisé. Les études montrent que de nombreux salariés ne se sentent pas suffisamment reconnus pour leurs efforts et leurs résultats. La reconnaissance active et passive joue un rôle clé dans l’estime de soi et la satisfaction au travail ;
  • La pandémie a amplifié le besoin de présence et d’attention, avec des témoignages faisant état d’un environnement de travail dégradé et de la difficulté à échanger des retours d’information constructifs ;
  • Les espaces de discussion sur le travail réel sont nécessaires pour prévenir l'épuisement professionnel et renforcer le sens du travail. Cependant, la création de ces espaces ne suffit pas ; la culture d’entreprise et la qualité du management sont également essentielles.

Télécharger le rapport « Du sens à l’ouvrage » publié dans le cadre du « Projet Sens »