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« L’entretien professionnel doit permettre de s’exprimer sur la transformation des métiers »

Par Fabien Claire | Le | Compétences

Les Français ont du mal à concevoir ce qui va réellement changer au sein de leur quotidien professionnel, notamment du fait des évolutions technologiques, ce qui génère une vision caricaturale des impacts de la technologie sur le travail : 49 % d’actifs pensent ainsi que dans un futur proche nous serons tous remplacés par des robots et des IA au travail selon le premier baromètre annuel 'Les Français aiment-ils apprendre ?' (Angie Opinion Data/IGS).
Pour éviter une telle vision caricaturale, « il faut permettre aux salariés de s’exprimer sur les évolutions actuelles de leurs métiers » et « l’entretien professionnel est une belle opportunité pour aborder la transformation des métiers », selon Ludovic Taphanel, directeur des programmes à l’IGS RH.

Ludovic Taphanel - © D.R.
Ludovic Taphanel - © D.R.

Selon le 1er baromètre annuel « Les Français aiment-ils apprendre ? », les Français perçoivent surtout les bénéfices de la formation pour leur développement personnel, devant leur métier. Comment l’expliquez-vous ?

La difficulté pour certains Français de faire le lien entre la formation et leur activité professionnelle

Il est à noter que parmi les 4 000 répondants aux questions posées dans le cadre de ce baromètre, tous ne sont pas engagés dans la vie active, il y a des étudiants également.

Pour autant, ce constat témoigne une nouvelle fois de la difficulté pour certains Français de faire le lien entre la formation et leur activité professionnelle. On l’a vu au démarrage du CPF.

Les titulaires l’utilisaient pour des formations en dehors du travail et parfois pour se faire plaisir. Par exemple, certains achetaient des cours d’anglais parce qu’ils avaient des projets de voyages et pas parce qu’ils utilisaient cette langue dans leur métier. C’est moins le cas désormais, et ce le sera encore moins à l’avenir car le CPF devrait être recentré sur les projets à visée d’évolution ou de reconversion professionnelle.

Cette utilisation du CPF pour des projets essentiellement personnels est due au fait que le CEP est peu connu. L’absence de couplage des deux dispositifs fait que le plus souvent, les individus sont seuls avec leur CPF et parfois démunis face à leur projet professionnel.

L’entretien professionnel n’est-il pas le moment qui permet d’évoquer le CEP et de discuter avec le salarié de ses projets professionnels ?

La bonne nouvelle c’est que, de par son caractère obligatoire, l’entretien professionnel est désormais un dispositif bien installé dans les entreprises. Nous l’avons observé dans la dernière édition de l’Observatoire des trajectoires professionnelles publié chaque année par le Groupe IGS avec LHH et la fondation The Adecco Group (novembre 2022). Pour autant, 67 % des actifs interrogés n’avaient jamais entendu parler du CEP et 60 % déclaraient ne pas avoir de vision claire de leur avenir professionnel à trois/cinq ans.

80 % des entretiens sont réalisés par des managers et pas par les RH

Dans les entreprises, 80 % des entretiens sont réalisés par des managers et pas par les RH. Celles-ci ne représentent en moyenne que 2 % des effectifs. Elles sont donc obligées de s’appuyer sur les managers. Or, il s’agit parfois d’un chef d’équipe sur un chantier qui ne connaît pas forcément le CPF, le CEP, la VAE ou le bilan de compétences par exemple.

Si l’on se fixe pour objectif que les droits théoriques comme l’accès à un conseil en évolution professionnelle deviennent des droits réels qui permettent à chacun de faire le point sur son évolution professionnelle, il faut que les DRH et les Opco outillent les personnes qui conduisent les entretiens.

Parfois, les salariés se projettent hors de l’entreprise lors des entretiens. C’est dans ce cas-là que le CEP est très important pour éviter que les personnes se trompent de voie. Depuis la crise sanitaire, on observe une sorte de fuite en avant de salariés en reconversion vers les métiers manuels. Mais si l’on n’est pas bien préparé, accompagné vers le nouveau métier que l’on souhaite exercer, on court souvent à l’échec. Par exemple, derrière le métier de fleuriste, on ne réalise pas toujours qu’il faut se lever tous les matins aux aurores, porter des charges lourdes, renoncer à un certain équilibre vie privée/vie professionnelle.

Au moment de la monétisation du CPF, lorsque le ministère du Travail de l’époque plaidait pour la création d’un « Airbnb » de la formation, à l’IGS, nous défendions l’idée d’un « Doctolib » du conseil en évolution professionnelle.

Comment expliquez-vous que les actifs ont des inquiétudes sur leurs capacités à s’adapter aux innovations technologiques ?

Tout le monde comprend que la société est marquée par d’importantes transformations mais on a du mal à y voir clair. C’est ce qui donne le résultat étonnant de 49 % d’actifs qui pensent que dans un futur proche nous serons tous remplacés par des robots et des IA au travail. Plus surprenant encore, cette idée est davantage présente chez les plus jeunes : 57 % chez les moins de 35 ans et 46 % chez les 55 ans et plus.

Les Français sont aussi très partagés sur leurs capacités à s’adapter aux innovations technologiques (intelligence artificielle, métavers, réalité virtuelle, etc.). Si 55 % se sentent capables de s’adapter à ces transformations, 45 % ne s’en sentent pas capables et 80 % n’ont pas d’avis tranché.

Que faut-il faire pour rassurer ou préparer les actifs à ces innovations technologiques ?

Les inquiétudes sont grandes car les Français ont du mal à concevoir ce qui va réellement changer au sein de leur quotidien professionnel, notamment du fait des évolutions technologiques. Les résultats cités précédemment démontrent une vision caricaturale des impacts de la technologie sur le travail. Non, nous ne serons pas tous remplacés par des robots et des IA dans un futur proche.

Éviter la diffusion de visions trop caricaturales des transformations à venir

Pour éviter une telle vision caricaturale, il faut permettre aux salariés de s’exprimer sur les évolutions actuelles de leurs métiers. Là encore, l’entretien professionnel est une belle opportunité pour aborder la transformation des métiers. Dans un monde en métamorphose, on ne peut discuter de son évolution professionnelle sans discuter en parallèle, et en complémentarité, de l’évolution de son métier.

Permettre aux personnes de s’exprimer plus régulièrement sur les évolutions de leur métier, celles qu’elles constatent aujourd’hui, celles qui pourraient survenir demain, devrait permettre d’éviter la diffusion de visions trop caricaturales des transformations à venir. L’entretien professionnel est sans aucun doute un maillon important et opportun dans cette dynamique de mise en discussion.